Terrain miné, ft Kami

outfit Une épave. Voilà ce que Kami était devenu depuis la veille au matin, depuis qu'il avait quitté Slaw de façon définitive, se sentant incapable d'attendre pendant des mois ou des années qu'il revienne vers lui. Son ancien amant lui avait proposé de simplement s'éloigner le temps que sa carrière s'envole et que lui ait quitté sa femme et prévenu sa famille, mais il ne s'en sentait pas capable, ne voulait pas passer sa vie à attendre quelque chose qui n'arriverait peut-être jamais. Là, au moins, aucun espoir vicieux ne chuchoterait dans son esprit pour le faire souffrir plus encore.

Le jour même où il avait dit à Slaw que c'était fini, il avait dit la vérité à Angela, avait dit qu'il était homo et ne pouvait plus être avec elle. Puis il avait fait ses valises et était parti s'installer au chalet, là où l'odeur de Slaw imprégnait les murs et où les souvenirs le submergeaient à chaque endroit où il posait les yeux. Le lendemain, il avait appelé un avocat pour entamer la procédure de divorce, acceptant de tout laisser à Angela à condition d'avoir une garde alternée pour ses enfants. Puis il avait appelé un agent immobilier pour lui trouver une maison, idéalement dans un autre quartier que le Nord, où il risquait de croiser Slaw. Et puis il était parti pour la Zen, pour parler à son père.

La discussion avait été houleuse, son père lui reprochant d'avoir menti, d'avoir blessé Angela, de bousiller sa vie en la quittant ainsi, mais Kami ne voulait rien entendre. Il lui avoua être tombé amoureux et, même si sa relation avec cet homme dont il tu le nom était terminée, il ne pouvait plus mentir. Bien que son père fut prêt à le garder comme héritier et à le soutenir, Kami posa sa démission et lui interdit de se positionner de son côté quand les médias s'en mêleraient, ne voulant pas causer plus de tort à sa famille. Il lui faudrait encore prévenir sa mère et ses frères, mais il n'en eut pas le courage et préféra aller vider son bureau pour retourner s'isoler au chalet au plus vite. Il y attendrait que le divorce soit prononcé, les choses devant se faire rapidement puisqu'il accepterait toutes les exigences de sa femme, et puis il partirait certainement à l'étranger un moment. Il voulait s'éloigner de tout ça, de ces souvenirs, de cet homme qui était parti avec un bout de lui.

Il arriva dans son bureau avec un carton vide et commença à y ranger ses affaires personnelles avec la mort dans l'âme. Les dossiers, il les tria et les étiqueta pour aider son futur remplaçant à s'y retrouver. Les photos, les cadres, les bibelots, il les plaça soigneusement dans son carton, s'attardant parfois sur l'un ou l'autre objet qui lui rappelait un souvenir heureux. Il avait presque fini quand il remarqua une silhouette dans l'embrasure de la porte. Ninomea. Manquait plus que lui. Certainement qu'il avait déjà entendu les nouvelles et venait se délecter de son malheur.

Sans lui accorder plus d'une seconde d'attention, il retourna à ses affaires, les épaules un peu plus tendues en se sentant observer. Il ne réagit pas à ses paroles, pas plus qu'il ne montra de réaction en le voyant entrer pour se placer non loin de lui. Quand sa main s'avança vers une minuscule boule à neige avec une grand roue en son centre, cependant, il le fusilla du regard en s'en emparant avant lui. Cet objet était ridicule et moche, mais il l'avait acheté au parc d'attractions quand il s'y était rendu avec Slaw pour son anniversaire, ce qui le rendait précieux à ses yeux.

Les commentaires d'Adonis donnèrent à Kami l'envie de le pousser par la fenêtre pour le faire taire, mais il n'avait pas besoin d'un scandale supplémentaire. Il se demandait également comment il était déjà au courant, combien d'espions il avait dans son entourage et dans la Zen, mais il n'avait pas l'énergie de parler avec lui. Une fois son carton rempli, il le referma en silence et le referma avec du scotch qu'il laissa ensuite sur le bureau, à côté de ses stylos et autres fournitures léguées à son successeur. Puis il contourna son bureau et leva vers l'intrus des yeux vides d'émotion.



Et il s'empara de son carton pour sortir de son bureau sans plus lui accorder la moindre attention.

outfit Un soupir échappa aux lèvres de Kami quand il réalisa que l'autre le suivait dans les couloirs où les gens le regardaient déjà d'un air surpris. Il ne s'arrêta pas pour expliquer à ses collègues - ex-collègues - la raison pour laquelle il se promenait avec un carton rempli d'affaires, se disait qu'ils l'apprendraient bien assez vite et n'avait pas le courage de leur servir un mensonge. Il n'avait même pas réfléchi à ce qu'il raconterait, ne savait pas s'il parlerait d'une opportunité dans une autre agence, d'un besoin de changer d'air ou quoi. De toute façon, les gens apprendraient vite qu'il était infidèle et homosexuel, alors ils comprendraient pourquoi il avait décidé de démissionner. Et s'ils ne comprenaient pas... alors tant pis pour eux, il n'avait pas assez d'énergie pour leur expliquer.

Se retournant vers Adonis, il serra les dents en le voyant prendre des photos de lui. En temps normal, il lui aurait arraché son portable des mains et aurait appelé la sécurité pour le faire virer, mais il n'en avait pas le courage et ne voulait pas s'abaisser à son niveau. Il le prenait en photo et le filmait, et alors ? Il n'en tirerait rien, à part un amusement puéril et quelques billets en vendant ces images aux médias. S'il espérait faire chanter Kami avec ça... et bien il serait vite surpris d'apprendre qu'il n'avait plus rien à perdre.



S'arrêtant devant la porte des escaliers, il bascula le carton sur un seul bras pour l'ouvrir et s'engager dans la première volée de marches pour descendre au parking sous-terrain. N'importe qui d'autre aurait pris l'ascenseur pour aller plus vite, mais la claustrophobie de Kami l'avait habitué à descendre et monter ses escaliers plusieurs fois par jour, et ce n'était pas un carton qui l'empêcherait de le faire aujourd'hui. De plus, l'idée de se retrouver en tête à tête avec Adonis dans un ascenseur ne le réjouissait pas beaucoup.

Quand ce dernier fit allusion à la boule à neige et à la réaction de Kami quand il s'en était approché, l'héritier poussa un soupir résigné en continuant à descendre les escaliers. Ce simple objet ne prouvait rien du tout, aussi ne se crispa-t-il pas en craignant que l'autre comprenne. Il pouvait l'avoir acquis bien des années plus tôt, en compagnie de n'importe qui d'autre que le jeune Slaw.



Arrivé au niveau du parking, Kami en ouvrit la porte pour se diriger vers sa voiture, garée à la place qui lui était réservée, non loin de là. Glissant la main dans sa poche, il déverrouilla le véhicule puis en ouvrit le coffre pour déposer son carton en sécurité, hors de portée du corbeau et de ses mains dévastatrices. Puis il se retourna vers lui avec un regard blasé et triste, incapable d'afficher son air impassible habituel.



Secouant la tête d'un air dégoûté, il se dirigea vers la portière de sa voiture pour l'ouvrir, prêt à laisser le corbeau sur le parking, seul avec sa vidéo inutile.

outfit Plusieurs mois étaient passés depuis le scandale qui avait touché Kami, et il était aujourd'hui un homme totalement différent. Heureux en couple avec Slaw, père d'un garçonnet adorable et parrain de cette fille qui n'était pas la sienne, il était également bien au travail, un professeur de musique avec des élèves satisfaits et digne héritier de son père. Tout allait bien pour lui, les Lenoir lui fichaient même la paix et une entente cordiale s'était installée entre eux, bien que Kami se méfiait toujours de l'aîné.

Quand il sortit de l'agence et croisa le regard d'Adonis, il retint un soupir et le laissa venir à lui, acceptant sa poignée de main avec professionnalisme. Jamais il ne serait ami avec lui, mais s'il pouvait éviter de déclencher une guerre entre leurs deux empires, ça serait déjà bien. Adonis lui demanda quelques minutes et Kami regarda rapidement l'heure sur sa montre, calculant s'il pouvait se permettre de lui accorder un moment. Non pas qu'il fut pressé, mais il avait prévu de voir Slaw le soir et voulait passer un maximum de temps avec lui. Heureusement pour l'autre, son compagnon avait cours de musique pour encore une bonne heure et ne serait pas disponible tout de suite.



Rebroussant chemin, il l'invita à le suivre jusqu'à son étage et lui ouvrit la porte de son bureau, lui proposant de s'asseoir face à lui. Il n'aimait pas trop avoir des Lenoir dans son sanctuaire, mais il n'avait pas envie de perdre du temps à aller ailleurs, et encore moins de marcher à ses côtés dans les rues.



Une fois la réponse d'Adonis entendue, Kami demanda à ce qu'un stagiaire lui apporte ce qu'avait demandé l'autre et un café pour lui-même, puis s'installa à son bureau. Quand le Lenoir entama la conversation, il haussa un sourcil surpris, ne s'étant pas attendu à ce genre de sujet. Les Lenoir étaient surveillés ? Et qu'est-ce que les Noguchi avaient à voir avec ça ? Qu'il ait demandé à ce qu'on les surveille était risible, Kami ayant beaucoup mieux à faire que pour perdre son temps à une gue-guerre qu'il n'appréciait pas.

Il allait lui répondre sèchement que non, mais Adonis continua et Kami pencha la tête, se plongeant dans une nouvelle réflexion. Ils seraient tous les deux surveillés par les mêmes personnes ? L'héritier n'avait pas vraiment remarqué, même s'il n'avait pas pu ignorer la présence de Tanuki dans son agence. Cette famille était sa rivale directe, mais ils avaient tous de même accepté que l'un d'eux fasse un stage dans la Zen, et il lui semblait donc normal de croiser sa jumelle quand il rentrait chez lui. Mais peut-être n'était-ce pas vraiment innocent.



Mayumi, le jumeau Tanuki, avait semblé très compétent et motivé pendant son entretien, et Kami s'était assuré lui-même qu'il soit surveillé les premiers jours. Les retours qu'il avait eu étaient plutôt positifs, l'étudiant semblait motivé et intéressé par son stage. Personne ne l'avait surpris à fouiner là où il ne devait pas, alors il en avait conclu que le jeune voulait se faire de l'expérience dans une agence où il ne serait pas pistonné. Peut-être avait-il été naïf...



Fronçant les sourcils, il se frotta pensivement le menton puis releva les yeux vers Adonis, se demandant ce que les Tanuki pourraient lui vouloir. En soi, ce qui arrivait aux Lenoir lui importait fort peu, mais si c'était lié à sa rivalité avec la famille, ça pouvait devenir inquiétant.

outfit Comprenant que Adonis avait probablement raison et que les Tanuki voulaient peut-être s'associer à lui pour faire tomber les Noguchi. Poussant un soupir, il ferma les yeux un instant, essayant de déterminer les dégâts que pourrait causer une telle alliance et de comprendre ce que les Lenoir pourraient y gagner. La relation entre leurs familles étaient tendues, mais à part une méfiance réciproque, ils ne se causaient pas de problème et se laissaient vivre tranquillement.



Passant une main dans ses cheveux, il garda le silence un long moment, réfléchissant à ce qu'il fallait faire, ce qui serait le mieux pour son agence. Se lancer dans cette guerre ne serait pas une bonne idée, ça leur apporterait de la mauvaise publicité et ils risquaient de perdre gros. Quant à ne rien faire, c'était leur ouvrir la porte pour les laisser foutre la merde dans l'agence.

Kami hocha la tête au commentaire de son invité, sachant pertinemment quelle était la situation. Si vraiment les Tanuki cherchaient le soutien des Lenoir et que ceux-ci le leur offraient... c'était la fin de la Zen Ent. Il ne pouvait pas accepter ça, mais l'idée de s'associer lui-même à cette famille lui donnait de l'urticaire. Même s'il n'en avait jamais eu la preuve, il avait cette impression persistante que les Lenoir étaient louches, et l'arrogance d'Adonis ne l'aidait pas à l'apprécier plus.



Le fixant d'un air déterminé, il se demanda pourquoi Adonis était venu l'avertir. Espérait-il obtenir quelque chose de lui pour le récompenser ? Ou bien voulait-il voir quelle famille achèterait le plus cher sa collaboration ? S'il espérait que Kami le paye, il pouvait aller se faire voir, l'héritier préférait tout perdre en affrontant deux familles que s'associer à lui et devenir complice de ses idées probablement tordues.



Malheureusement, il connaissait assez Adonis que pour savoir qu'il ne lâchait que difficilement un os qu'il pouvait ronger. Une fois qu'il trouvait une opportunité pour mettre le bordel et augmenter son pouvoir, il ne la laissait pas passer facilement...