Sentiments romancés ft. Kami

story teller

O O T D - Kami était en avance, comme souvent. Son rendez-vous avec Gabriel avait été posé à la fin des cours de ce dernier, le professeur de violon s'étant adapté à son horaire pour se libérer. L'avantage d'être le fils du patron et d'être assez professionnel, c'était qu'il pouvait faire à peu près ce qu'il voulait. Envie d'une journée de congé ? Un mail et c'était bon. Il n'avait pas d'excuses à donner, pas besoin de justificatif. Il pouvait aller se glisser dans les draps d'un de ses amants que les autres l'imagineraient au chevet de son fils malade ou de sa femme enceinte.

Patientant tranquillement devant chez son ami, Kami se décolla du mur en le voyant arriver, esquissant un sourire en guise de salutation. Son hôte semblait de mauvaise humeur, peu bavard, peut-être fatigué de sa journée. Quoi qu'il en soit, il invita le musicien à entrer, celui-ci rétorquant que ce n'était pas grave quand Gabriel parla de désordre. Avec un enfant à la maison, il était habitué aux jouets qui trainaient et à la vaisselle qui débordait dans l'évier. Peut-être devrait-il engager une femme de ménage pendant la grossesse de son épouse ?

Juste un verre d'eau, merci.

S'installant dans le canapé qu'il occupait à chacune de ses visites, Kami attrapa un livre pour en regarder la couverture en attendant Gabriel, le reposant rapidement en découvrant un résumé en... espagnol ? Italien ? Quelle était la différence, déjà ? Remerciant l'auteur en recevant son eau, il en prit une gorgée puis le posa sur la table basse, entre deux piles de livres, et attendit les questions. Celles-ci ne tardèrent pas à arriver et le sujet fit lever des yeux agacés à Kami, n'étant clairement pas son préféré.

Tu commences en force aujourd'hui... J'ai eu l'occasion de les voir de près au festival de Pâques et c'était...

Cherchant le mot adéquat, il fit claquer sa langue d'un air contrarié, se laissant aller contre le dossier du divan. Il côtoyait assez d'écrivains à présent pour savoir que le choix des mots était important, que la nuance se trouvait partout, que jaloux n'était pas le synonyme d'envieux. Même si Gabriel modifierait fortement les événements pour masquer son identité, les sentiments resteraient fondamentalement les mêmes, alors autant être juste.

J'ai été jaloux. L'autre, Hibiki, il lui a offert une fleur, il lui a donné de la barbe à papa, il a été à ses côtés avant et après sa prestation et... c'était frustrant. J'aurais voulu que Slaw vienne à moi après, que je sois le premier à qui il pense après son morceau, et en même temps je sais que, même s'il l'avait voulu, il n'aurait pas pu venir. Parce que ma femme était là, parce que des centaines de gens nous auraient vu et qu'il suffit qu'une personne comprenne pour tout gâcher. Et, de toute façon, c'est mieux comme ça. Il ne faut pas qu'on s'attache, on le sait tous les deux.

Parce qu'il ne réalisait pas encore la force de ses sentiments, la vraie raison de sa possessivité. Il sentait bien qu'il y avait quelque chose de différent, qu'avec Slaw ce n'était pas que du sexe. Il voulait lui faire plaisir, le voir sourire, l'avait emmené au parc pour son anniversaire... Mais était-ce de l'amour ou simplement le beau minois du garçon qui l'attendrissait ? Soupirant, il écouta la suite des questions de Gabriel, hochant la tête à ses paroles.

Oui. De mon côté, en tout cas, je ne sais pas pour lui, même si j'imagine qu'il continue à voir d'autres hommes également. Le but était simplement de passer du temps ensemble, de prendre du plaisir. S'enchaîner, se jurer fidélité... tu sais comme moi que c'est des conneries.

Lui-même avait juré fidélité à son épouse ce fameux jour où elle était en blanc et lui en nage. Il lui avait juré de ne s'offrir qu'à elle alors même qu'il voyait des hommes depuis le début de leur relation, que le matin même il en avait rencontré un pour se détendre. Il lui avait juré de ne penser qu'à elle, mais ce qu'était pas son corps qu'il s'était imaginé en lui faisant leur second enfant... Secouant la tête, il changea de position pour s'allonger dans le canapé, ses chaussures au-dessus du vide pour ne pas salir le tissu. À présent, il fixait le plafond, se sentant comme un patient en pleine psychanalyse.

Et pourtant, quand je l'imagine avec un autre... Gab, je pourrais faire une connerie, mais je ne peux pas arrêter. Je ne veux pas arrêter. Même si on sait tous les deux que je devrais.

Une connerie telle que demander le divorce, tout plaquer, ruiner sa réputation, tout ça pour offrir à Slaw tout ce qu'il ne pouvait pas lui offrir à l'heure actuelle. Des promesses, des sentiments, un avenir. Mais serait-il prêt à tout sacrifier pour lui ? Sa famille, son père, son travail, sa réputation ? Ses enfants ? Parce que, est-ce que sa femme le laisserait les voir en apprenant ça ? Et puis, question fatidique : est-ce que Slaw le voudrait également ?

Je lui ai dit que je l'aimais, Gab... Et maintenant je ne sais pas quoi faire.

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O O T D - Allongé sur le canapé, Kami fixait le plafond en se confiant, se sentant presque comme chez le psy. Il était là pour transmettre son histoire à Gabriel pour qu'il la retranscrive dans ses romans, mais en même temps il attendait de lui un avis extérieur, des conseils, des réponses. Que devait-il faire ? Il avait dit à Slaw qu'il l'aimait, il voulait être avec lui tout le temps, mais il ne pouvait se résoudre à détruire sa famille, se sentait égoïste. Après tout, qui était-il pour avouer à sa femme qu'il ne l'avait jamais aimée, expliquer à son fils qu'il aimait les hommes, détruire les espoirs de son père ?

Gabriel posa des questions pour pousser Kami à réfléchir et à lui confier ses pensées. Ils s'aidaient mutuellement, même si le musicien lui permettait seulement de gagner de l'argent alors que l'autre l'aidait dans sa vie sentimentale. Son regard fixé sur le plafond, il cherchait les réponses. Pourquoi avoir dit à Slaw qu'il l'aimait ? Parce que c'était le cas, tout simplement... Mais pourquoi à ce moment-là précisément ? La réponse était plus complexe.

Comme je te l'ai dit, j'ai été jaloux de le voir avec son ami et, quand nous nous sommes retrouvés seuls, je n'arrivais pas à me sortir cette vision de la tête. Je sais qu'il voit d'autres hommes, mais je ne l'avais jamais vu. Alors je lui ai demandé s'il l'aimait bien et Slaw... il m'a répondu que j'étais celui qu'il désirait le plus. Je pense que ça a fait un déclic. Je n'avais jamais ressenti ça pour un autre, Gab. Je crois... je crois que je l'aime vraiment.

Il croyait seulement, parce qu'il n'avait jamais été amoureux avant, parce que personne ne lui avait jamais donné cette envie de tout lâcher pour lui. Il avait déjà eu quelques relations qui allaient au-delà du charnel, mais jamais aussi intense, jamais aussi addictif. Quand il était avec Slaw, il avait l'impression de pouvoir respirer, se sentait à l'aise et heureux. Quand il n'était pas avec lui, ses pensées tournaient autour de lui, qu'il soit en train de manger, enseigner ou faire "l'amour" à sa femme ou un autre homme. Il pensait à lui constamment, n'était-ce pas un signe ?

La question de Gabriel faisait écho à celles que Kami se posait constamment depuis plusieurs semaines. Qu'était-il prêt à faire pour Slaw ? S'il n'y avait pas ses enfants, il lâcherait tout sans hésiter pour se jeter dans ses bras, mais il avait trop peur d'être séparé de Nobu et de cet enfant qui n'était pas encore nés. Ils étaient innocents, ils n'avaient pas à souffrir de cette histoire, n'avaient pas à être séparés de leur père à cause de ses mensonges et de ses préférences.

J'aimerais pouvoir dire que je suis prêt à tout lâcher pour lui, parce que c'est ce que je veux. Quitter Angela sera douloureux, elle sera évidemment triste et en colère, mais ça me permettra de ne plus mentir. Pour mon père, j'espère qu'il comprendra et me laissera garder mon job. Quant à ma réputation, tant qu'elle ne touche pas Slaw, je m'en contrefiche. La seule chose qui me retient, c'est Nobu. J'ai trop peur que Angela le prenne si mal qu'elle m'empêche de le voir. Si j'avait la garantie qu'elle ne m'en privera pas... Je lâcherais tout.

Enfin, il vivrait pour lui, n'aurait plus besoin de se cacher et serait heureux. Mais est-ce que tout cela n'était pas qu'un rêve ? Un fantasme qui devrait prendre fin le jour où Kami devrait retourner auprès de sa famille ? Et si Slaw tombait amoureux d'un homme qui pourrait le faire entrer dans sa vie plutôt que son placard ? Soupirant, Kami ferma les yeux en écoutant les paroles de Gabriel.

Je l'ai rencontré il y a quelques mois quand j'ai commencé à lui donner des cours. Au début, c'était juste mon élève, un beau garçon talentueux et au caractère attendrissant. Et puis j'ai fait un pas vers lui et il m'a répondu. Ce ne devait être que du sexe, une compagnie agréable. Il passe des moments avec moi, je lui offre des cadeaux pour le remercier. Mais... Je me suis attaché à sa personnalité autant qu'à son corps. Pour répondre à ta question, je le perçois toujours de la même façon. Je le trouve impressionnant par sa bonté et en même temps si fragile à cause de ça. J'ai parfois peur pour lui, je crains que des gens ne profitent de lui et... il m'arrive de me demander si moi-même je ne profite pas de lui. Peut-être qu'il me rend mes attentions simplement par gentillesse, peut-être qu'il dit me désirer pour ne pas me vexer, peut-être qu'en vérité il ne veut pas de moi.

Se sentant soudain empli de doutes, Kami se redressa en position assise, les coudes sur les genoux et le visage dans les mains. Pourquoi avait-il toutes ces questions ? Pourquoi était-ce soudain si compliqué alors que leur relation était censée être simple ? Du sexe, de la compagnie, du bon temps, point. Pas de sentiments, pas de promesses, pas de questions. Et pourtant, voilà qu'il s'en posait mille, se demandant si il était aussi important pour Slaw que son élève ne l'était à ses yeux.