away from everything + Qiao Lan

outfit Depuis que Ame était partie en France pour voir sa mère, Fumi semblait inconsolable. Il passait son temps dans son labo ou dans sa chambre, ne voulait voir personne hormis son frère, se fichait de tout. Il n'obéissait plus à son père, répondait à sa marâtre quand elle lui donnait des ordres ou le traitait de larve seulement capable de profiter de l'argent de son père, passait ses journées en pyjama à se goinfrer de sucreries. Aki essayait bien de veiller sur lui, lui arrachant ses cochonneries des mains quand il le croisait avec et le poussant à s'habiller de temps en temps, mais le scientifique n'y mettait aucune bonne volonté.

Le soir, il n'allait presque plus rejoindre son jumeau dans sa chambre, préférant passer ses nuits seuls à penser. Il ne dormait plus beaucoup, faisait des siestes pendant la journée et, quand Aki venait dans son lit le soir, il faisait en sorte de ne pas trop bouger pour ne pas le réveiller. Il savait bien qu'il ne pouvait pas rester dans cet état, qu'il n'était pas avec Ame depuis assez longtemps pour déprimer pendant des mois, mais il l'avait aimée. C'était la première fois qu'il était amoureux à ce point, la première fois qu'il avait envisagé un avenir avec quelqu'un qui lui plaisait, et elle était partie. On aurait dit que, depuis qu'elle l'avait aidé à annuler ses fiançailles, son rôle était joué et elle n'avait plus besoin d'être dans la vie du jeune scientifique.

La rentrée des classes avait en quelque sorte forcé Fumiya à se bouger un peu. Il avait du reprendre un cycle de sommeil plus régulier, était obligé de s'habiller - sur les conseils de son frère, toujours - et n'avait plus la possibilité de manger des céréales à dix heures du mat ou à dix-huit heures. Il était toujours un zombie apathique, ne souriait pas et ne semblait plus avoir de raison de vivre, mais au moins il était debout et il allait en cours. C'était là qu'il avait revu Qiao Lan, qu'il avait ghosté pendant les trois dernières semaines de vacances sans lui donner d'explications. Aki lui avait certainement dit ce qu'il s'était passé, les deux commençant à ne plus trop se détester, mais Fumi s'en voulait tout de même de l'avoir ainsi ignoré. Raison pour laquelle il avait accepté cette sortie avec lui.

L'ingénieur avait réparé un drone, récemment, et voulait le tester dans un endroit calme et éloigné, là où les gens ne risqueraient pas de le lui voler s'il venait à se crasher quelque part. Fumi n'était pas trop motivé, ne voyait pas l'intérêt de sa présence et aurait préféré passer son premier samedi depuis la rentrée à se morfondre dans son lit, mais il ne pouvait pas le laisser tomber encore une fois, ne voulait pas risquer de s'éloigner au point de ne plus pouvoir revenir vers lui.

Les mains dans les poches de son jeans noir, Fumi avançait en silence entre les arbres, son regard fixé sur les chaussures de son meilleur ami qui marchait devant et les pensées à mille kilomètres de là. Il se demandait ce que faisait Ame, si elle aussi avait repris les cours en France, si elle pensait à lui. Est-ce qu'il lui manquait ? Est-ce qu'elle l'aimait toujours ? Est-ce qu'elle reviendrait ? Il espérait que lui mais, en même temps, la possibilité de ne jamais la revoir était si douloureuse qu'il préférait essayer d'accepter le fait de ne jamais recroiser son regard.



Pénétrant dans une clairière de quelques mètres de diamètres, Fumi tourna sur lui-même pour regarder autour d'eux et évaluer les lieux. S'ils se plaçaient au centre, Lan pourrait faire décoller l'appareil sans risquer de se prendre des branches d'arbres et ils étaient assez loin dans la forêt pour supposer que personne ne les verrait. Ils pourraient filmer de beaux paysages, d'ici, entre les arbres aux feuillages tournant vers le doré, les lacs translucides, les falaises sauvages et les animaux paisibles qu'ils pourraient croiser. Et puis, de plus, il n'avait plus envie de marcher, rendu fatigué par son manque d'exercice et sa mauvaise hygiène de vie des dernières semaines.

outfit Après avoir arrêté Lan dans une clairière qui ferait l'affaire, Fumi fut soulagé de voir qu'il était d'accord de rester là pour tester le drone et s'éloigna d'un pas ou deux pour s'asseoir sur une souche moussue. Il regarda distraitement l'ingénieur sortir l'appareil de son sac et l'allumer avec sa tablette. Il n'était pas vraiment passionné par la technologie, ne jouait même jamais aux jeux vidéos - sa vieille console prenait d'ailleurs la poussière dans sa chambre depuis ses quinze ans - mais si sa présence pouvait faire plaisir à son ami, alors il ferait un effort. Il ne voyait cependant pas à quoi il serait utile, n'étant capable que de regarder les images et dire que c'était joli. Mais bon...

Suivant le drone du regard quand le chinois le fit décoller, le chimiste poussa un léger soupir. Il se demanda brièvement s'il serait possible de le faire voler jusqu'en France pour voir Ame, puis secoua la tête devant sa propre bêtise. Il serait impossible de le faire aller aussi loin et, de toute façon, il n'avait pas l'adresse de sa petite amie (ex ?) et le pays était trop grand pour en parcourir chaque rue à la recherche de la chocolatière. Voilà que la rupture le rendait irrationnel et débile... vraiment, ça ne lui valait rien de bon.

Fumi sursauta quand Lan lui parla, n'ayant pas réalisé que l'appareil était revenu au sol bien que ses yeux aient suivi le mouvement. Voulait-il essayer ? Pas vraiment. Il ne savait pas comment ça fonctionnait et ne voulait pas que ses tremblements lui fassent faire un geste qui enverrait le drone dans un arbre, mais pourquoi pas après tout... Haussant les épaules, il se releva pour approcher de Lan et prendre la tablette qu'il lui tendait.



Attentif, il écouta les explications de Lan et tenta de se rappeler quel bouton faisait quoi, puis il se lança. Hésitant, il tenta de faire décoller le drone, le soulevant de quelques centimètres avant de flipper en le voyant faire un soubresaut. Lâchant tout, il le regarda retomber au sol sans avoir été assez haut pour casser quelque chose. Fumi tourna un regard inquiet à son ami qui lui remontra comment faire. À sa seconde tentative, le chimiste parvint à décoller plus souplement. Il s'aventura à le faire tourner un peu, mais quand le drone fila trop rapidement vers un arbre, ce fut Lan qui le stoppa en reprenant la tablette in extremis.



Abandonnant déjà, il remit les mains dans les poches de son jeans et se contenta de regarder les images défiler sur la tablette de son meilleur ami. Il n'y avait que des arbres et des clairières, parfois une rivière ou un lac, mais c'était joli. Ame aurait aimé voir ça... Soupirant, Fumi se détourna pour regarder autour de lui, arrêtant son regard sur un oiseau qui picorait le tronc d'un arbre à quelques mètres de lui. Avec un peu de chance, il verrait un écureuil ou un lièvre courir entre les buissons, mais il ne se sentait pas assez veinard pour ça.



Fumi savait bien que les deux avaient passé du temps ensemble, les ayant souvent entendu parler dans l'atelier de son frère, situé juste au-dessus de son labo. Il les avait vus dans le jardin aussi, et s'était hâté de fermer les volets de sa chambre pour ne pas avoir à refuser une invitation à les rejoindre. Il les enviait, eux qui étaient épargnés par la douleur qu'il ressentait et pour qui la vie continuait normalement. Leurs rires lui réchauffaient le coeur, mais pas assez pour qu'il ait envie de se joindre à eux. Il n'était pas encore prêt, et ils avaient semblé comprendre, heureusement.

outfit Certes, le drone avait été trouvé cassé et Qiao Lan n'avait que le réparer, sans dépenser une fortune pour l'acheter neuf, mais tout de même. Il y avait consacré du temps et de l'attention, il avait travaillé dessus pour lui rendre ses fonctionnalités et s'était donné du mal pour un tel résultat. Même si ce n'était pas grave pour lui si l'engin était de nouveau brisé, Fumi ne voulait pas détruire ce travail aussi facilement qu'il brisait ses tubes à essais, qu'il pouvait se contenter de racheter sans plus d'effort. Il ne répondit pas, préférant s'excuser tardivement pour avoir ghosté son meilleur ami pendant plusieurs semaines.

Aki avait effectivement expliqué à Qiao pourquoi Fumi ne répondait plus aux messages et déprimait dans son coin. Pas étonnant. Pas étonnant non plus que le chinois n'ait pas compris, lui qui ne ressentait pas les choses comme le commun des mortels. C'était en partie pour ça qu'il ne s'était pas fait beaucoup d'amis au lycée et que le chimiste était un de ses rares amis. Peut-être aussi parce que beaucoup n'essayaient pas de comprendre l'étranger, parce qu'ils le jugeaient là où Fumi l'a accepté et apprécié tel qu'il était.



Ame était partie pour Paris et Fumiya déprimait. Ca résumait bien la situation, même si venant de Qiao, ça ne sonnait pas logique ou normal. Parfois, le chimiste l'enviait de ne rien ressentir, ni l'affection qu'il éprouvait pour Ame, ni la douleur d'une séparation. Sa vie était certainement plus fade, mais au moins ne souffrait-il pas autant que lui. Il était possible qu'il trouve quelqu'un qui atteindrait son coeur, un jour, mais la passion ne serait certainement pas aussi grande et la séparation ne lui ferait pas aussi mal. Oui, il avait de la chance, ce petit chinois...

À ses questions, Fumi plia les genoux pour se rasseoir en tailleur à même le sol, ses doigts jouant distraitement avec des brins d'herbe. Quand il l'entendait, ça sonnait si simple. Il suffirait de passer un coup de fil pour tout comprendre, pour mettre les choses au point et pour régler les éventuels malentendus, voire mettre un terme à la relation sans douleur. Mais rien n'était aussi simple avec Ame, Fumi l'avait compris depuis longtemps.



Avait-il fait quelque chose de mal ? La pression de sa famille avait-elle fini par l'effrayer ? Ne l'aimait-elle pas assez que pour affronter les obstacles avec lui ? Il aurait pu croire qu'il lui était arrivé quelque chose, qu'elle avait eu un accident ou quoi, mais il savait qu'elle voyait ses messages, les ignorait exprès et n'était donc pas dans le coma quelque part entre ici et la France. C'était donc lui le responsable, inévitablement, non ?

outfit Qiao Lan ne pouvait pas l'aider, en effet. Personne ne pouvait régler la situation hormis Ame elle-même, mais il semblait qu'elle n'était pas décidée à rétablir la situation. Fumiya n'en voulait pas à son ami de ne pas savoir comment l'aider, il lui était même reconnaissant pour son honnêteté et sa franchise habituelle. Aki était du genre à lui passer de la pommade et à le surprotéger, son père l'ignorait quand il était dans cette état et la marâtre essayait de le secouer en lui criant après. Seul Qiao Lan lui disait ce qu'il pensait sans filtre, sans chercher à l'épargner ni à le blesser encore plus.



Ca pourrait prendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines, mais c'était la seule chose à faire. Attendre que ça passe, que la douleur diminue et qu'il ne pense plus à elle à chaque seconde de chaque journée. Il n'y avait pas de remède miracle, de parole à entendre pour aller mieux, seul le temps pourrait faire le travail. En attendant, Fumi était décidé à ne plus ghoster son ami, ne voulant plus l'inquiéter inutilement. De plus, passer du temps avec lui et sa logique implacable lui faisait du bien, même si sa mine défaite ne le montrait pas.

Après un léger silence, le chimiste se releva suite à la proposition de bouger de son ami. Marcher lui changerait peut-être les idées. Ca ne serait pas pire que rester assis dans l'herbe à ne rien faire, en tout cas. Les mains dans les poches, il revint à hauteur et marcha à ses côtés entre les arbres, son regard partagé entre l'horizon et le sol sous ses pieds pour éviter de trébucher. Il essayait d'apprécier la balade, le calme environnant résonnant agréablement dans ses oreilles sensibles.



Connaissant l'ingénieur, il avait certainement une pile d'objets à réparer dans un coin de sa chambre ou des projets pour l'université. Une création, une réparation, une rénovation... rien n'était impossible pour ce génie manuel et Fumi était toujours impressionné de le voir travailler ou de constater les différences avant et après le passage du chinois.

outfit La balade était plutôt agréable, le calme ambiant permettant à Fumi de trouver un semblant de paix intérieure. Il faisait beau et chaud, ce qui l'aidait à apprécier un peu plus le décor verdoyant autour de lui. Il se disait que ça aurait été plus agréable encore avec Ame, mais ça n'arriverait plus. Elle était partie, mais Qiao Lan était resté à ses côtés, il s'était accroché à lui, en bon ami qu'il était. L'ordre des choses était peut-être rétabli, peut-être que c'était comme ça que ça devait être.

Fronçant les sourcils en entendant la réponse de Qiao Lan, il se demanda sur quoi son meilleur ami travaillait en collaboration avec son frère. Ils ne s'entendaient pourtant pas assez pour ça, si ? Bon, la situation était moins tendue entre eux depuis quelques temps, mais à ce point-là, il n'y aurait jamais cru. Curieux, il se tourna vers le chinois et le scruta une seconde du regard avant de baisser les yeux pour éviter une racine.



Quel genre de travail pouvait bien intéresser à la fois un artiste et un ingénieur ? Fumi s'imaginait quelque chose de complexe et d'esthétiquement beau, mais il n'avait aucun début d'idée sur la chose en elle-même. Est-ce que Qiao Lan créait des objets que Aki décorait ? Ou bien Aki dessinait-il des objets que Qiao devait créer ? Quoi qu'il en soit, le chimiste était content de voir que les deux s'entendaient bien, lui qui avait toujours eu de la peine à les voir se disputer constamment avant. C'était les deux personnes qui comptaient le plus pour lui, à présent, les deux seuls qui restaient à ses côtés malgré tout, alors les voir devenir amis était un grand réconfort en cette période délicate.



Cette époque où Qiao grimaçait toujours en apprenant que Aki serait à la maison pendant ses visites et où Aki lui demandait d'un air dépassé pourquoi Fumi était ami avec le chinois ne lui manquait vraiment pas. Ce n'était pas encore l'amour fou entre les deux, mais la situation était plus calme et ça lui faisait réellement plaisir. Il ne se sentait pas jaloux, d'ailleurs, que ça soit par rapport à son jumeau ou à son meilleur ami. S'ils voulaient faire des choses sans lui, ça ne le dérangeait pas, du moins pour le moment. Peut-être qu'une fois son aphasie passée, ça serait différent.

outfit Intrigué d'appendre que son frère et son meilleur ami, lesquels ne pouvaient pas rester une minute dans la même pièce quelques mois plus tôt, collaboraient sur des projets communs, Fumi demanda un peu plus de précisions à Qiao Lan. Sur quel genre de travail pouvaient-ils bien s'associer, les deux ayant des domaines de prédilections pourtant différents ? Attendant des détails et précisions, le chimiste se contenta de la réponse évasive du chinois. Peut-être qu'il lui montrerait une autre fois, ou bien Fumi demanderait à son jumeau pour voir ces fameux schémas. Le connaissant, ce devait être des créations farfelues et complexes que Qiao Lan ne pouvait pas expliquer ici.

Voyant les deux garçons devenir plus proches et se tolérer avec plus de bienveillance qu'avant, Fumi s'en réjoui oralement, précisant qu'il avait détesté de les voir se tirer dans les pattes à l'époque où ils ne s'aimaient pas. Qiao Lan avait raison, c'était Aki qui avait lancé les hostilités dés le premier jour, mais tout de même. Le comportement de sa moitié n'avait pas permis au chinois de le connaître vraiment et il ne l'avait pas porté dans son coeur jusqu'à récemment.



Il tâcherait de le remercier en rentrant, appréciant les efforts de son jumeau pour accepter son meilleur ami. Il en profiterait également pour lui demander sur quoi ils travaillaient, voulant savoir ce qui liait les deux personnes les plus importantes de sa vie. Bien sûr, il ne pourrait probablement pas les aider, sa maladresse légendaire et son terrible coup de crayon ne pouvant servir qu'à saboter leur travail. Mais bon, il pouvait simplement les regarder faire, leur prêter son labo ou simplement s'informer de loin, leur laissant du calme pendant que lui-même faisait ses expériences dans son coin.



Glissant les mains dans ses poches, Fumi resta à côté de Qiao Lan pour reprendre la direction inverse, rentrant chez eux après une balade peu joyeuse. Bon, au moins le chinois savait-il à quoi s'attendre, mais le chimiste s'en voulait quand même. Il était déprimé à cause d'une fille qui l'avait abandonné et avait presque fait pareil avec son meilleur ami qui, lui, était resté à ses côtés. Se tournant vers lui, il passa rapidement les bras autour de ses épaules en une accolade maladroite, sachant que son ami n'était pas très câlin mais ayant tout de même envie de le remercier.



Puis il s'écarta de son ami et remit les mains en poche. Cette sortie lui avait fait un électrochoc, lui faisant réaliser que se morfondre pour une personne absente ne servait qu'à blesser ceux qui restaient. Il voyait Aki qui s'inquiétait, Qiao qui essayait de l'aider à sa façon et sa meilleure amie qui ne savait pas comment le réconforter. Si lui-même ne se trouvait pas de raison pour aller mieux, ces trois personnes le devinrent soudain, et il se promit de se reprendre en main le plus tôt possible.